RFI et nous

3 février 2014

RFI et nous

Quel est son impact sur le quotidien des récepteurs africains ? Quelle est l’idée que ceux-ci se font de ce vecteur de l’information internationale ? La réponse à ses deux interrogations nous plonge dans une sorte de sociologie du média.

En Afrique la radio est l’un des plus anciens médias modernes, car la télévision arrive par exemple au Cameroun à la fin de la décennie 80, le téléphone se vulgarise au début des années 2000 et l’internet s’implante effectivement après 2005. Jusqu’ici malgré les efforts de la presse écrite, la radio est demeurée la principale source d’information. Les postes récepteurs sont presque à la portée de tous, ils sont malléables et les fréquences de modulation radiophonique sont plus accessibles. Il s’est créée en Afrique une proximité voir un copinage entre la radio et l’Africain, qu’il soit accroché sur son palmier entrain de vigner ou simplement derrière son étalage de légumes il est toujours muni de son poste récepteur (poste ordinaire ou téléphone avec radio incorporé).

La vulgarisation des entreprises de communication sociales est tributaire de la libéralisation politique survenue au tout début des années 1990, la multiplication des chaînes radio va alors s’opérer dans ce contexte du vent de l’est qui soufflait sur les régimes autocratiques. Il faut donc comprendre que jusqu’au début de l’amorce de la décompression de l’autoritarisme, seul les médias d’Etat avaient droit de citer, exception faite du moins de la presse écrite. En effet avant 1990 des organes de presse tel que Le Messager de Pius Njawé qui entretenait un discours contradictoire existait déjà.

Pendant que les médias nationaux non gouvernementaux étaient muselés ou simplement interdits, ceux internationaux restaient alors la principale source d’information. Ce qui nous amène à nous pencher sur le cas de Radio France internationale pour répondre aux deux questions posées plus haut.

RFI, malgré l’irruption d’une pléthore de chaines étrangères, n’a  pas perdu son monopole au Cameroun, un rang qui s’inscrit dans l’histoire et continue à être occupé. Alors que les systèmes monolithiques s’activaient à imposer une censure forte aux journalistes, Radio France  Internationale est demeurée presque la seule à fournir une information fiable que la radio d’Etat cherchait à camoufler. Elle continue de détenir l’exclusivité sur certaines informations qui fâchent les gouvernements locaux. Aussi les élites politiques sont plus ouverts à RFI qu’aux médias africains, probablement parce que son auditoire va au-delà des pays et des continents ; c’est une radio mondiale.

Comme sus évoqué, il y a également cette facilité à capter RFI même dans les coins les plus reculés de nos pays où la radio nationale a démontré toutes ses limites. RFI est partout en Afrique. En plus de cette proximité, on peut relever le caractère international de ses informations qui nous mettent au cœur des événements du monde entier. L’africain vit en temps réel au rythme de l’information mondiale au point de parler de 7 milliard de voisins pour reprendre le titre d’une des émissions de RFI.

Il y a une espèce de capacité pour l’africain à faire valoir son opinion, sans risque pour le média d’être censuré, de même que les forums et débats connaissent des intervenants de divers horizons. C’est un espace qui stimule et fait émerger le talent à travers divers concours.

On peut également saluer le rôle de politisation et de médiatisation des problèmes africains par  RFI dans la mise sur agenda internationale des maux qui minent le continent. Sans toute fois être exhaustif dans notre énumération, nous prendrons le cas des crises politico militaires et la violation de libertés individuelles. Le cas malien et centrafricain aujourd’hui bénéficie  d’une grande implication de RFI qui y consacre des pages. Aucune crise africaine ne peut passer inaperçue à RFI de même que d’autres cas comme la pression exercée sur les hommes politiques, les journalistes et autres membres de la société civile. RFI peut être par conséquent qualifiée de voix des sans voix.

RFI produit des énoncés qui visent aussi à persuader son audience, on peut parler d’une fonction locutoire et perlocutoire. Cependant, au-delà de cet impact positif il y a cette appréhension de « mal nécessaire » de la chaîne par certains africains sceptiques très souvent panafricanistes. Il y a une sorte de méfiance vis-à-vis de la radio française.

La perception de RFI par l’africain est liée à l’idée qu’il se fait généralement de la France. Il y a ce soupçon de néocolinisation qui plane, certains parlent d’instrument de la francafrique et de cette francophonie paternaliste. En fait tout se joue sur la nature de l’information, ce qui veut dire que cette perception n’est pas figée mais dépend de la satisfaction ou non du traitement de l’information. L’appréhension est conjoncturel d’où la difficile identification des sceptiques puisque les critiques d’hier peuvent être les laudateurs d’aujourd’hui, mais toujours est-il, on accuse RFI de partialité dans le traitement des informations. On a l’impression que les prises de positions dans certaines situations se font en fonction des choix du gouvernement français et qui par conséquent manqueraient très souvent d’objectivité. Dans cette optique la question de l’homosexualité dans les pays qui la pénalise encore est vue comme une atteinte grave à la liberté de l’individu et remet en question le niveau de démocratie dans ces Etats peut être parce qu’elle a déjà été légalisée en France et dans bon nombre de pays européens.

RFI apparaît aussi comme un moteur de déstabilisation des régimes qui ne font plus l’affaire de Paris. A tord ou à raison les gouvernants africains voient en chaque révélation de RFI un complot visant à mettre en mal le pays. On ne peut pas compter le nombre de fois où les porte paroles des gouvernements locaux sont sorti de leur réserve pour fustiger ou démentir d’une façon très musclée les informations  de RFI. L’élite politique africaine dans sa grande majorité est la plus sceptique du fait que RFI peut faire ou défaire son image. Dans tous les cas, nul ne peut douter de la force politico-médiatique de cette radio.

Un autre effet de RFI perçue comme pervers par les auditeurs africains est cette violence symbolique qui va au-delà d’une francophonie pour aboutir à ce qui peut être qualifié de Francocentrisme. RFI impose la présence de la France dans le quotidien des africains créant l’idée que le pays de de Gaulle est la plaque tournante de l’humanité. Par exemple le président français apparaît aux yeux de certains comme le plus puissant après celui des Etats-Unis, de même que le championnat français parait être le plus animé d’Europe et les matchs des bleus seraient les plus grands derbys de la planète. Ces quelques exemples prouvent que RFI a un impact considérable sur le continent.

In fine, il faut dire, que l’on soit francophiles ce qui implique en Afrique l’amour pour RFI, ou sceptiques, objectivement il est difficile de mépriser le travail d’information et de politisation que cette radio abat en faisant sortir l’Afrique des oubliettes. Bref RFI est toujours au chevet de l’Afrique.

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