Le système LMD a été singé et indigénisé au Cameroun

28 novembre 2013

Le système LMD a été singé et indigénisé au Cameroun

Entrés à l’université de Yaoundé 2 en 2007, les élèves de la  première promotion du système LMD, aujourd’hui en master 2 soutiendront leurs travaux de mémoire en fin 2014 si les choses s’accélèrent. Environ 8 ans pour espérer décrocher son master 2 soit 3 ans de plus par rapport à l’esprit du système originel. En Afrique dès qu’on exporte, on tronque et on tropicalise.

Le système licence, master, doctorat est entré en vigueur à l’université de Yaoundé 2 en 2007 avec un double objectif : celui de la professionnalisation des enseignements donc des diplômés afin d’accroître leur compétitivité sur le marché de l’emploi et celui de l’accélération des cursus académiques. Aujourd’hui, on a plutôt droit à l’inverse, certains universitaires révoltés prônent un retour à l’ancien système. En effet les étudiants sont devenus de plus en plus moins lotis et la distance entre la première année licence et le doctorat est de 12 ans pour les plus chanceux. Il doit avoir tout dans ce système LMD made in Cameroun sauf une intention de professionnaliser les enseignements qui devraient être à la fois théoriques et pratiques.

Le cadre infrastructurel est le premier obstacle pour l’université de Yaoundé 2 qui continue à agglutiner plus de 2500 étudiants dans un amphithéâtre de 1000 places. La seule bibliothèque de cet établissement paraît exiguë, moins de 50 places et son livre le plus récent doit dater de 2001. Les cités universitaires se conjuguent dans un futur éternel, les étudiants, à la merci des spéculateurs immobiliers, logent chez les particuliers. La majorité squatte dans les chambres ghettoïsées de 8 000 F par mois, à côté d’une minorité, fils de « Bigmen », qui résident dans les chambres de 600 000 F Cfa l’année. Les enseignants de cette université en majorité carriéristes sont loin d’être des scientifiques de vocation, mais par défaut. Ils sont généralement issus des cuvées de chanceux qui ont eu l’opportunité de fuir la précarité du pays pour se diplômer en Europe. Leur ego oscille entre orgueil et opulence. Rares sont ceux d’entre eux qui n’accumulent pas plus de trois salaires à la fois, d’ailleurs certains sont des conseillers spéciaux du chef de l’Etat.

Le rendement de ces carriéristes ne peut être que médiocre : le suivi des étudiants est bâclé, les programmes se limitent aux introductions générales, certains professeurs sont fantômes, mais évaluent néanmoins les étudiants sur la base d’un seul chapitre polycopié ou envoyé par Mail depuis une capitale européenne. Bref les enseignants en majeure partie sont plus préoccupés par des affaires extrascientifiques. Cet état de choses peut ne pas être sans impact sur ces étudiants qui vivent un LMD d’un autre genre. Ils bénéficient de la politique paresseuse de « promotion collective » qui les maintient en dessous des performances escomptées d’un LMD non singé. La majorité d’entre eux glanent leur master, par exemple en science politique, sans lire la première de couverture du Prince de Machiavel, Le Savant et le politique de Max Weber ou Le capital de Karl Marx. Chacun s’adapte à sa manière à ce manque de sérieux ainsi, à défaut d’attendre impatiemment la réussite à un concours, les étudiants se livrent à tous genres d’activités, qu’elles soient licites ou illicites. Le système LMD est alors corrompu et n’a aucune valeur ajoutée sur le cursus académique.

La quantité congrue et marginale des étudiants qui garde encore une fine affection pour la science et croit en elle bute sur des lenteurs du système. A titre d’exemple ; la promotion des masters 2 sciences politiques de 2007 a obtenu le master 1 en 2011, ils ont candidaté pour le master 2 en novembre 2011, les résultats de la sélection ont été affichés en mars 2012, les cours ont débuté en mai 2012, en septembre les cours ont été suspendus par le doyen et repris timidement en décembre 2012. En avril 2013, il n’y avait plus pratiquement aucun professeur dans les amphithéâtres. Il sont passés aux écrits terminaux en septembre 2013. Jusqu’à ce jour les notes restent attendues, la session de rattrapage et la rédaction des travaux de mémoire sont fixées aux « calendes bantoues ». Bref après le master 1, il faut encore patienter jusqu’à 4 ans pour espérer obtenir le master 2.

Par ailleurs, les étudiants sont confrontés aux problèmes de documentation, aux problèmes de suivi, car les enseignants passent plus de temps dans les bureaux et en Europe, certains mettent sur pied leurs propres instituts où la scolarité est élevée à plus d’un million de F Cfa largement au-dessus des 50 000 qui sont exigés dans les universités d’Etat. L’accès à l’information reste un calvaire pour les jeunes chercheurs qui, à 80 % versent dans le plagia afin de surmonter les obstacles d’un système indigénisé.

Enfin de compte, on se retrouve avec un bilan totalement désastreux, nous n’avons ni de docteurs de moins de trente-cinq ans, ni de diplômés professionnalisés et compétitifs en dehors des miraculés et ceux qui empruntent des réseaux parallèles.

On peut conclure tout simplement qu’en Afrique en général et au Cameroun en particulier on excelle dans le cosmétique pour donner, dans le cas d’espèce, l’illusion d’un LMD qui au fond n’est qu’un vernissage pour se conformer frauduleusement aux standards internationaux.

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Commentaires

Yves Tchakounte
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Merci Aristide, je me reconnais parfaitement dans ton récit. Très vrai!

Aristide MONO
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Merci également mon frère. le Cameroun excelle dans l'art de décourager ses talents et de dilapider sa crème intellectuelle.

DANIA EBONGUE
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je suis heureux de lire ce que tu as dit. Mais quelles sont les solutions ?

Aristide MONO
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Merci Dania. Les solutions se trouvent dans la politique académique camerounaise qui elle même est conséquente de la mal gouvernance. il faut juste un peu de sérieux dans l'implémentation des politiques publiques et qu'elles soient mûrement bien pensées au préalable.

Aristide MONO
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Merci Dania. Les solutions se trouvent dans la politique académique camerounaise qui elle même est conséquente de la mal gouvernance. il faut juste un peu de sérieux dans l'implémentation des politiques publiques et qu'elles soient mûrement bien pensées au préalable.