28 mai 2015

Social Democratic Front, 25 ans de régression : trajectoire type de l’opposition africaine

       sdf 26 mai 1990, 26 mai 2015, 25 ans plus tard.  Le SDF, principal parti d’opposition camerounaise, est réduit en simple animateur du jeu politique avec pour seule fonction, la légitimation d’un système monopartiste masqué. De parti d’opposition, le SDF est devenu une formation de positionnement dans une connivence désormais à ciel ouvert avec le RDPC (parti au pouvoir).

Au commencement c’était l’espoir

L’on ne saurait entretenir une mémoire sélective face à l’activisme de Ni John Fru Ndi pour le retour au multipartisme. Au bout d’un combat de rue soldé par de nombreux cadavres, il crée le Social Démocratic Front, le 26 mai 1990 à Bamenda, une formation de courant centre-gauche avec pour mot d’ordre « suffer don’t finish » et « power to the people ».

                                                        SDF ESPOIR

Très tôt le SDF s’affirme comme challenger redoutable du parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC). Aux élections présidentielles de 1992, le SDF inquiète son rival en récoltant 35,9% des suffrages contre 39,9% pour ce dernier. Il suscite désormais quelques lueurs d’alternance qui seront rapidement étouffées par les pratiques peu orthodoxes du Chairman lui-même et du régime crypto autoritaire de Biya. La conséquence de ce qui précède est la dégringolade du parti au lendemain du scrutin de 1992, ce malgré l’émergence de certains jeunes cadres un peu plus dynamiques.

  Années Résultats des présidentielles Résultats des législatives
1992   (11 octobre)               35,97%        Boycotte/Abstention
1997   (17 mai)               Boycott/Abstention            43         sièges
2002   (30 juin)                     /            22         sièges
2004   (11 octobre)                 17,12%                  /
2007   (22 juillet)                      /           16         sièges
2011    (09 octobre)                 10,71%                   /

   Qu’est-ce qui expliquerait une telle descente?

            De prime à bord, il est important de revenir sur le contexte d’émergence du SDF pour comprendre que sa notoriété de départ était conjoncturelle. En effet parmi les partis qui font irruption dans le champ politique en début des années 1990, le SDF, par son caractère révolutionnaire et avec un leader charismatique apparait aux yeux des « indignés » comme une alternative à même d’incarner les revendications des « cadets sociaux ». Le SDF et Fru Ndi bénéficient alors à la présidentielle de 1992 d’un « Biya Must Go » scandé par la rue. Il récolte à cet effet 34,9% de suffrage contre 39,8% douteux du RDPC. Le SDF a donc bénéficié d’un vote contre : « Tout le monde, sauf Biya ! »

TOUT SAUF BIYA

Des espoirs vite neutralisés

Malgré ce contexte favorable à son affirmation, le parti tout au long de ces 25 années n’a pas pu rentabiliser ces opportunités afin de construire une offre et comportement politiques séduisants. Il n’a pas pu construire une véritable opposition, moins corrompue, moins prébendier, à même de bousculer le « renouveau ». Au contraire, il a légitimé d’avantage la « démo-crasy » de Yaoundé et se faire embrigader dans la nasse de la politique de containment du régime, désormais il dîne avec son rival !

Au rang des causes de 25 ans de reculade, l’incapacité de se reconstruire afin de s’adapter aux différents contextes

L’un des arguments expliquant le déclin du SDF est son incapacité à s’adapter aux évolutions des situations politiques qui travaillent le champ concurrentiel camerounais. En restant par exemple scotché sur la subversion comme mode d’expression, le parti a cédé le flanc à son « adversaire » pour bien vulgariser auprès de l’opinion l’image d’un parti qui veut saper la paix. Le soutien du SDF aux émeutiers de février 2008 a été par exemple un tremplin pour Biya de le classer solennellement dans la catégorie des « apprentis sorciers ».

L’anglophonisation du parti : stigmatisation et auto-stigmatisation

            Une autre explication de la régression du Social Démocratic Front est l’instrumentalisation de son « anglophonisation ». Le 2 mars 1999, John Fru Ndi fustige la « marginalisation » des anglophones,  l’opportunité est donnée une fois de plus à ses rivaux de dénoncer son adhésion à la cause sécessionniste des militants favorables à la création de la République fédérale et démocratique du Southerm Cameroun. Alors par ces postures identitaires, le Chairman a donné l’occasion à l’opinion d’orienter le débat vers  un pseudo antagonisme électoral : « Anglophones contre francophones ». D’autres ingrédients comme la tenue régulière des congrès du parti à Bamenda, viennent agrémenter l’image d’un parti des anglophones, faisant perdre au parti la sympathie des francophones.

L’opération de la chaise vide, le gâchis des opportunités politiques

L’opération « pieds morts » et la « politique de la chaise vide » n’ont pas été véritablement rentables pour le SDF de même que le boycott des élections. Les illustrations les plus regrettables de ces politiques sont le refus de participer aux législatives de 1992 où l’opposition a eu toutes les chances de contrôler le Parlement, du moins constituer une majorité confortable. De même, le boycott des élections présidentielles de 1997 a permis au parti au pouvoir de consolider exponentiellement son hégémonie à la tête de l’Etat en glanant plus de 92% des suffrages contre 39% en 1992. La désertion du champ de compétition a porté des coups durs au parti qui en plus de son affaiblissement, a rendu son adversaire plus fort et a fait perdre au parti des ressources politiques que constituent les postes électifs.

Coalitions, alliances… les stratégies foireuses du SDF

Le SDF et Fru Ndi n’ont pas su penser une autre stratégie ou saisir des opportunités afin d’impacter le jeu politique. On peut par exemple décrier les échecs des différentes alliances et coalitions qui auraient dû être bénéfiques pour l’opposition en général et le SDF en particulier. Tous ces dissensions et égoïsmes discréditeront davantage le parti, car pour l’opinion c’était par manque de réalisme et d’ambition que le SDF va lâcher ces occasions de faire émerger une opposition un peu plus forte. Outre l’idée du jeu des alliances, d’autres innovations tel le projet inopérant du « shadow cabinet » vont décrédibiliser le parti.

USURE DU TEMPSSDF, un leadership éternel et perpétuel du Chairman: dérive autoritariste !!!

            Le SDF comme la majorité des partis politiques africains s’est construit non pas autour d’une idéologie forte mais autour d’un homme fort, en la personne du Chairman qui est  inamovible depuis le 26 mai 1990. Si le changement reste le credo du parti, il est paradoxalement moins accepté par son leader. L’épuisement et l’usure de la personnalité du Chairman entraînent ipso facto l’usure du SDF dans le sens où l’innovation qui pourrait impulser une nouvelle dynamique achoppe sur le conservatisme des caciques d’un système foiré par le  temps. Aussi les dérives de Fru Ndi sont directement imputées au parti.

Article 8, 2 comme technologie politique d’excommunication des opposants à la pensée unique de FRU Ndi au sein du parti

Par ailleurs, la remise en cause de l’hégémonie de FRU Ndi au sein même du NEC (organe exécutif du SDF), est généralement sujette d’excommunication sur la base du fameux article 8 Al. 2. En l’espace de quelques années le SDF s’est autodéséquilibré en excluant des forces politiques telles : maître Bernard MUNA ancien bâtonnier de l’ordre des avocats du Cameroun après avoir décrié les prébendes dont bénéficieraient certains cadres du parti ;  Edith Kah Walla présidente du Cameroon people’s party « CPP ») ;   Assanga (1994) ; Charles MBOCK (1995) ; J Pierre Tchoua (1998) ; Maidali (2002) ;  Paulinus Jua (2006), le secrétaire général historique Tazoacha Asonganyi (2006), etc.

ASONGANYI, un père fondateur du SDF excommunué

Illustration des guerres intestines qui ont fragilisé le parti

             Du 26 au 28 mai 2006 est convoquée la 7e convention du SDF  appelée « conférence de la renaissance ». Le congrès est perturbé par la plainte du député Clément Ngwasiri, qui auparavant avait été exclu du parti pour avoir prononcé la « suspension » du chairman, va prévoir avec d’autres membres tels Pascal Zamboué et Diboulé un congrès à Yaoundé dans les mêmes délais. Le jour-J, monsieur Grégoire Diboulé est assassiné au siège du SDF à Yaoundé après une lourde confrontation entre partisans de Ngwasiri et ceux du chairman armés des gourdins. Par ailleurs la fête nationale d’avant, le gouverneur FAYE NGO Francis avait dû suspendre la participation du SDF au défilé après la bagarre à laquelle voulaient se livrer les deux factions  déjà au boulevard du 20 mai.

Au-delà des défaillances endogènes, les actes d’anti-jeux politiques du RDPC

En plus de ces quelques griefs qu’on peut retenir à l’endroit du SDF et son éternel Chairman, il est à reconnaître avec Thomas Friedman qu’un système de parti hyper dominant donne lieu à une « démocratie incompétitive ». Alors dans un contexte de caporalisation de la ressource étatique par le Parti-Etat, le SDF déjà autodétruit, ne peut être qu’un nain politique.

Frustration, intimidation, violence… autant de pratiques dont le SDF sera victime pendant ces 25 dernières années

            Il faut dire que le SDF, a été maté par la répression et contraint de faire l’aumône ou alors d’attendre la mansuétude de Paul Biya comme ce fut le cas lors des sénatoriales de 2013. Le RDPC a dû refuser d’être présent dans les régions de l’Adamaoua et l’Ouest afin de permettre au moins à un autre parti de glaner un sénateur dans les 70 élus. Le SDF va bénéficier de l’offrande de 14 sénateurs de son désormais allié politique supposé être son principal adversaire.

Le parti fera l’objet d’un bon nombre de frustrations politico-administratives suite à des intimidations diverses. Déjà le jour de sa création, une marche du SDF est violemment réprimandée laissant six de ses partisans sur le carreau, morts par balle des forces de l’ordre (RFI). Dans ce contexte, « opposant » rimait avec maquisard, étiquette collée auparavant aux membres de l’UPC (parti nationaliste ayant combattu pour l’indépendance complète du Cameroun dans les années 60).

Campagne de dénigrement, stigmatisation et méfiance

L’image du SDF fera l’objet de campagnes de dénigrement et de préjugés multiples. On faire allusion ici à l’idée selon laquelle le SDF ambitionne rattacher une partie du Cameroun au Nigeria ou simplement qu’il veuille déstabiliser le pays.

            Le parti subira un lynchage médiatique toujours est-il que les médias privés n’étaient pas encore fortement implantés. La stigmatisation tribale ne sera pas en reste avec ce caractère d’ « insensé » que l’opinion  a toujours attribué aux anglophones dans cette lourde expression dénigreuse de « Bamenda » (expression qui signifie naïf). Voter pour le SDF relevait d’une grande trahison et parfois cela valait la méfiance de l’entourage. D’ailleurs à Sangmélima et Ebolowa, les anglophones et Bamiléké accusés pour avoir voté en 1992 pour le SDF seront lynchés par les Bétis de ces localités acquises au RDPC.

En somme, loin d’être exhaustif dans le listing des causes de la régression du SDF 25 ans après, on peut conclure que le parti aujourd’hui, au-delà de la simple nostalgie des exploits historiques, est loin de convaincre les Camerounais que nous sommes dans un multipartisme. Pire encore qu’il existe bel et bien un principal parti d’opposition.

CONNIVENCE

            Il faudra peut-être parler d’un principal parti de positionnement sollicitant d’une façon permanente la mansuétude du parti au pouvoir.

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