Que nous manque-t-il au Cameroun? une bureaucratie normale!

Article : Que nous manque-t-il au Cameroun? une bureaucratie normale!
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29 janvier 2014

Que nous manque-t-il au Cameroun? une bureaucratie normale!

La question ci-dessus a été posée par le président camerounais lors du discours de fin d’année, manifestant son étonnement devant le bilan décevant de 31 ans de règne alors que le pays regorge d’un potentiel naturel important en termes de ressources et de stabilité politique. Le problème est donc ailleurs, dans la gouvernance, c’est-à-dire dans l’administration qui hypothèque toute chance d’émergence. Voici les tares de la bureaucratie camerounaise !

Il n’est pas question pour nous de faire le procès politique de la bande à Biya, mais de s’intéresser à l’administration en général au sens le plus simple du terme. Les défaillances se répertorient tant au niveau du système que celui des agents eux-mêmes, ce qui signifie que les responsabilités sont partagées.

Un système éducatif affecté par la « diplômie »…

La course aux diplômes est l’un des éléments fondamentaux de la décrépitude de la bureaucratie camerounaise. Cette diplômie est fondée sur l’illusion selon laquelle le diplôme, qui n’est qu’un simple papier, était synonyme de compétence. C’est dans ce sens que l’entrée dans la fonction publique est conditionnée par la simple présentation d’un papier émasculant ainsi la compétence. Le système éducatif est monté de telle sorte que les apprenants ne recherchent pas la connaissance, mais plutôt le diplôme. Les enseignants peuvent donc se limiter sur les introductions générales pourvu qu’en fin d’année un taux de réussite soit spectaculaire. Ceci est si vrai qu’on a institué au Cameroun la médiocre formule de « Promotion collective » où on délibère les examens officiels à 6, 5/20. Que peut-on attendre de ces futurs fonctionnaires mal formés ? La diplômie a également fait prospérer une industrie souterraine de faux diplômes, appelés « diplômes de Bonas », Bonas renvoyant à la zone universitaire de Yaoundé 1 où les attestations et diplômes contrefaits sont délivrés à moins d’une heure. La diplômie promeut la tricherie et la compétence douteuse ou approximative.

Un mode de recrutement buissonnier…

Les éléments mal formés ou détenteurs des « diplômes de Bonas » ont généralement droit à un accès frauduleux à la fonction publique. Trois voies d’accès sont « en vigueur » au Cameroun. D’abord la mobilisation d’un capital relationnel, conséquence de l’Etat néopatrimonialiste pour ne pas parler de la « parentocratie ». Le concours administratif n’a qu’une fonction de légitimation du recrutement de l’agent puisque le parrain ou le parent par son influence et son accès aux circuits d’établissement des listes finales va s’occuper de votre réussite au dit concours, d’où la tribalisation de l’administration. Le deuxième chemin est la mobilisation du pouvoir financier, ici le réseaucrate capable de court-circuiter les listes des admis ou recrutés est sollicité pour recevoir en contrepartie des millions de francs CFA. Il y a tout un marché noir qui prospère dans l’accès à la fonction publique. La troisième voie est celle des industries mystico-exotériques avec tout ce que cela peut exiger comme sodomie de jeunes garçons, en fait il s’agit de faire allégeance au diable. Sans nier le fait qu’il existe quelques miraculés qui sont objectivement recrutés, il faut reconnaître que la méritocratie est loin d’être le principal critère de recrutement. Bref au Cameroun on a écarté la norme et normalisé l’écart.

Une inertie généralisée : un « je-m’en-foutisme aggravé »…

Les fonctionnaires recrutés par des réseaux parallèles sur la base des attestations de « Bonas » ne se trouvent dans aucune obligation quelconque de satisfaire l’Etat. D’ailleurs, ils n’en sont pas capables puisqu’ils ne sont pas très souvent compétents et ils n’ont aucun sens de l’effort. A l’université de Yaoundé 2 par exemple, l’administration ouvre vers 10 heures, à midi on prend une heure de pause et on ferme à 15 heures. Soit à peine 5 heures de travail par jour : conséquence : le service public tourne au ralenti. Les lenteurs administratives renvoient les résultats aux calendes bantou, d’où le retard du Cameroun en matière de développement.

Un antipatriotisme ambiant…

Ce n’est un secret pour personne que certains commis de l’Etat détiennent une double nationalité, et sont donc plus enclins à penser à l’étranger où leurs enfants résident, grâce à un argent honnêtement ou malhonnêtement gagné. De plus  lorsqu’ils sont malades, ils  sont dirigés vers les hôpitaux étrangers pendant que les nôtres sombrent dans la décrépitude. L’intérêt national est supplanté par des égoïsmes individuels ou sectaires.

Une corruption spectaculaire : une administration très gombiste…

Au Cameroun, la réseaucratie gouverne. Le service public est sorti des canaux et canons conventionnels pour s’adapter à une mafia montée depuis le haut, nourrie par une conjoncture économique de vache maigre. Il faut des contreparties pour avoir accès à un service qui est supposé être gratuit afin de permettre au fonctionnaire d’arrondir de façon exorbitée ses fins du mois. Ces échanges sont soit symboliques ou matériels. Pour ce qui est des contreparties matérielles, elles peuvent être en espèce ou en nature à l’exemple du sexe ou l’âme de l’usager. Tout se négocie en termes de gombos c’est-à-dire de pourboire ou de pots-de-vin. La population en majorité pauvre ne pourra dans ces conditions bénéficier aisément du service public, puisqu’elle ne dispose pas d’un fort pouvoir d’achat. Même la signature des documents requiert une rançon souterraine à verser au fonctionnaire.

Une prévarication qui croît exponentiellement…

Un tome ne suffirait pas pour lister le nombre de voleurs de la République derrière les barreaux. Après le football, le Cameroun est reconnu mondialement comme un Etat qui abrite des bandits à col blanc d’une notoriété avérée. Si les feymen (escrocs) n’ont pas toujours dit leur dernier mot, les fonctionnaires camerounais leur ont déjà arraché la palme d’or en termes de crimes économiques et financiers. Chaque année, l’Etat perd un nombre important de milliards à cause du vol organisé par les agents publics, avec un impact considérable sur le niveau d’exécution des travaux publics qui sont soit de mauvaise qualité soit non réalisés. Les Camerounais sont de plus en plus appauvris par leur bureaucratie. Tout un gouvernement est actuellement en prison dans le cadre de l’opération éperviers (chasse aux prévaricateurs).

  Une administration personnifiée : une hantise totémique du chef de l’Etat…

Le fait que la personne du chef de l’Etat hante toute une administration constitue un handicap à la bonne marche de la fonction publique. On pourrait peut-être justifier ce phénomène par le fait que le portrait du président, exposé dans tous les bureaux, provoque des effets paranormaux. Presque tous les fonctionnaires agissent sous le contrôle ou au nom du chef de l’Etat même quand ce dernier ne leur a imposé aucune instruction et leur a même donné tous les pouvoirs comme c’est le cas avec les feuilles de route ministérielles. Ceci étouffe l’esprit d’innovation et d’initiative, car il faut penser toujours sous le contrôle du chef de l’Etat. On a donc l’impression que ce dernier est un puissant totem qui absorbe les agents de l’administration. La bureaucratie est sclérosée, statique sans dynamisme parce tout le monde se réfère à un même individu même quand il s’agit d’une victoire d’un combat de boxe. L’image de Biya dépouille les fonctionnaires de leur rationalité, ils sont hantés et aliénés, par conséquent l’administration piétine dans la routine en attendant d’être exorcisée un jour !

Des administrateurs détenteurs de titres fonciers de certains postes administratifs…

La longévité est la chose la mieux partagée dans l’administration camerounaise, les fonctionnaires à certains postes bénéficient d’une espèce de mandat illimité donnant l’impression qu’ils sont dépositaires d’un titre foncier dudit poste, ils en font une propriété privée. Les différents gouvernements du régime Biya tournent presque, autour des mêmes têtes. Depuis ma naissance, je n’ai pas connu un président du conseil économique et social autre que le fossile Ayang Luc. Cette longévité est congénitale au concept de pouvoir perpétuel théorisé par le politologue Eric Mathias Owona Nguini. La mobilité sociale est difficile dans une telle administration surtout que depuis plus de trente ans, comme l’a reconnu le président dans le discours à la nation, aucun résultat escompté n’a été obtenu. Ces éternitaires ne peuvent qu’amplifier des réseaux mafieux et pérenniser le néopatrimonialisme.

 Une tolérance administrative non justifiée…

Comme nous parlions plus haut du concept médiocre de la « promotion collective » dans le système éducatif camerounais, il faut également évoquer celui de la « tolérance administrative » consistant à fermer les yeux sur les délits administratifs. Il s’agit d’une lourdeur manifeste dans la prise de sanctions à l’endroit des égarés de l’administration instituant ainsi un « laisser- aller » indescriptible. De même, les citoyens peuvent se permettre de violer les lois sans risque d’être inquiété par l’administration. Ceci relève des voies de contournement de l’Etat dans sa mauvaise foi de répondre aux exigences des Camerounais, pourtant il est primordial de les résoudre sans coup férir.

Un cadre institutionnel favorable à la paralysie du service public…

Tous les maux sus énumérés sont chapeautés par un cadre institutionnel qui freine l’essor du service public. Il crée un flou institutionnel à l’origine des doublons et par conséquent des conflits de compétences. Par exemple, les experts s’accordent à dire qu’il y a deux gouvernements au Cameroun, à savoir le secrétariat d’Etat à la présidence et la primature. Les mécanismes d’un « check and balance » sont inopérants, le suivi des travaux publics est inefficace, les organes de lutte contres la prévarication sont sans pouvoir judiciaire ni répressif et se limitent à la dénonciation. La hiérarchie dans les offices publics n’est ni cohérente ni respectée tout simplement parce que le pouvoir est ailleurs, dans des circuits informels qui sont régis par une hiérarchie tapie dans l’ombre qui fait et défait les princes de l’administration.

Voilà en gros les 10 maux de l’administration camerounaise : les corriger apportera probablement une réponse à cette interrogation du chef de l’Etat.

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Commentaires

DANIA EBONGUE
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Très d'accord